La 1ère greffe cardiaque en Europe
Récit par le Pr. Christian CABROL
Le 27 avril 1968, avec mon assistant le Pr Gérard Guiraudon, nous faisions dans la petite unité de chirurgie cardiaque du service de chirurgie générale de la Pitié à l’Assistance publique de Paris, la première greffe du cœur en Europe, la 7ème au monde. La surprise fut grande car nous n’étions pas une équipe connue et attendue. Mais cette greffe était le résultat d’un antécédent et de trois circonstances.
L’antécédent était mon année passée en 1956 aux Etats Unis pour apprendre la chirurgie à cœur ouvert, chez son initiateur, Walton Lillehei à Minneapolis, Minnesota. Là, je me fis deux amis de mon âge. L’un Norman Shumway fut engagé, l’année suivante, à l’université de Stanford ; il y entreprend la chirurgie à cœur ouvert apprise chez notre Maître Lillehei et, en la perfectionnant avec son résident Richard Lower, il met au point la greffe cardiaque chez le chien, dès 1960. La maîtrise du rejet demanda plus de travail et ce n’est qu’en 1967 que Shumway et Lower obtinrent chez le chien des survies dépassant deux ans.
Quant à moi, mon stage américain écoulé, je rentrais à Paris et je fus recueilli par le Pr Gaston Cordier qui m’aida à créer dans son service une modeste unité de chirurgie thoracique. Mais je profitais de tous les congrès pour retourner aux U.S.A et être au courant des travaux sur la greffe cardiaque de Shumway qui m’encouragea à en faire autant en France. Avec Guiraudon, nous nous étions donc entraînés à cette greffe cardiaque dans le laboratoire expérimental du service d’anatomie que je dirigeais à la Faculté de Médecine de la Pitié Salpêtrière.
Notre autre ami de Minneapolis, était un jeune chirurgien sud africain. Rentré au Cap, il avait lui aussi démarré un service de chirurgie à cœur ouvert, mais il ne nous donnait aucune nouvelle. En 1967, il est envoyé de nouveau aux Etats Unis pour apprendre la greffe du rein à Richmond, en Virginie. Là il rencontre Lower qui y poursuivait ses recherches sur la greffe cardiaque. Notre ami Sud africain, surpris des résultats obtenus, s’étonne qu’il ne tente pas une greffe cardiaque humaine. Lower lui répond qu’il ne pourrait prélever un œur battant que chez une personne décédée de mort cérébrale. Mais ceci n’était pas légal aux Etats Unis et il attendait une éventualité favorable. Notre ami sud africain rentre au Cap, s’entraîne quelques semaines, n’a jamais eu un chien survivant mais, le 3 décembre 1967, il prélève le cœur battant d’une jeune femme en mort cérébrale après un accident de voiture et le greffe sur un de ses malades mourant de défaillance cardiaque. Il ose et il réussit et le lendemain le monde entier connaît son nom : Chris Barnard.
Chris ne citera jamais notre ami commun Shumway mais il a un mérite, il a brisé un tabou et le public légalise la mort cérébrale avant que la loi ne le fasse. Norman Shumway alors libéré, effectue sa première greffe cardiaque humaine début de son exemplaire série qui au fil des années apportera les plus importantes découvertes dans ce domaine.
Avec lui d’autres chirurgiens se lancent dans l’aventure, Kantrowitz à New York, à deux reprises, Barnard à nouveau au Cap, Sing aux Indes. Mais en Europe rien ne se passe, les cardiologues étaient très réticents, les premiers greffés étant morts après quelques heures ou jours. Le très renommé Pr. Lenègre déclare même : « La greffe cardiaque chez l’homme est actuellement prématurée ». Mais bien entraînés dans notre laboratoire, Gérard Guiraudon et moi, étions prêts. Il ne manquait plus que les circonstances. Elles se sont conjuguées le 27 avril 1968.
Le chef du service de cardiologie à l’hôpital de la Salpêtrière, le Pr Faquet était un homme qui ne croyait en rien mais poussait à tout. Gérard Guiraudon avait été son externe et l’avait convaincu de nous confier ses malades arrivés au stade ultime de leur maladie cardiaque et sans autre recours. Malheureusement, ceux-ci mourraient quelques jours après nous avoir été présentés mais, ce jour là, un malade survivait ; Clovis Roblain qui acceptait la greffe. En même temps nous fûmes avertis qu’un homme venait de mourir de mort cérébrale dans le service voisin de neurochirurgie. Sa malheureuse et jeune épouse consent au don d’organes. Il ne reste plus que l’approbation de notre patron car je suis encore assistant. Notre chef de service le Pr. Mercadier n’aurait peut être pas autorisé une telle initiative mais, absent pour un congrès en Algérie, malgré tous nos efforts pour essayer le joindre, nous n’y parvînmes pas. Nous décidâmes donc d’opérer sans son autorisation.
Notre équipe était très bien entraînée et l’opération se déroula à merveille dans deux salles d’opérations contiguës du service. Une crainte me prit en prélevant le cœur du donneur qui était de taille normale, bien plus petit que le cœur énorme et dilaté, à peine battant, du receveur que Gérard venait d’exposer dans la salle voisine.